Le vénérable bâtiment Saint Edouard, préventorium datant des années 30, semblait à nouveau sortir de sa catalepsie en entendant le son rauque des moteurs d’antan des deux premiers Dodge WC52 et 54 s’engouffrant dans le parking, encore vide, de la cour centrale. Nous étions le vendredi 14 janvier 2011 à l’approche de midi. Guy et Guillaume s’extirpèrent des habitacles des engins, moteurs coupés ; le silence qui s’en suivit les étonna après leurs deux heures de trajet parcourus depuis Arlon. Des volutes d’huile surchauffée léchèrent les murs épais soigneusement rénovés. Rencontre du 3ème type, un peu surréaliste, entre ses « vieux » engins ressuscités, khaki mat frappés de l’étoile blanche et la bâtisse jadis cruellement meurtrie par les frappes des canons des belligérants de 1944.
Une rencontre qui effacera, le temps d’un week-end, notre paisible modernité et qui fera à nouveau réapparaître des souvenirs tellement marquants qu’il serait irrespectueux de considérer notre « opération Ivanhoe » comme un simple jeu éphémère. La première mise en place logistique était déjà faite par Philippe (président actif) venu en début de matinée pour « réquisitionner » les locaux et aménager les espaces d’accueil réservés aux collectionneurs de VM alliés dont bon nombre d’habitués. Les 120 places disponibles étaient réservées depuis longtemps. Début d’après-midi de petits groupes arrivèrent à destination. D’aucuns avaient pris la route très tôt pour parcourir jusque 400 km à bord de leurs machines.
Les amis, les copains venus de France et de Hollande (plus nombreux que nos belges les plus braves) furent nos hôtes. Notre formule consacrée fut dispensée par nos indiennes de première ligne : accueil chaleureux, pekêt de bienvenue, inscription avec sourires et guidance vers les chambres.
La joie des retrouvailles fut animée par les palabres des plus loquaces qui contèrent leurs dernières aventures derrière le comptoir d’un bar bien fourni. Les novices, souvent transis de leur voyage, se réchauffèrent bien vite retirant leurs lourds effets d’hiver en abandonnant (momentanément) paletots, parkas, cagoules et autres protections thermiques. Pourtant à Stoumont la météo fut clémente. Un paradoxe après les affres subies d’un climat sibérien des récentes semaines passées. La région retrouvait, comme un fait exprès, la météo de l’époque des premiers combats d’Ardenne. Saint Edouard reste fascinant comme lieu symbole d’une résistance farouche et sanglante qui l’embrasa et lui infligea des plaies béantes lors des combats corps à corps du 20 décembre 1944. Remis à neuf après la guerre, l’immeuble ne dévoile plus que quelques stigmates qui lentement s’effacent avec le temps qui passe.
La salle réservée pour nos GI’s était garnie aux couleurs de « notre » division Indian Head. Elle se remplit bien vite avec l’arrivée des quasi derniers équipages. Un discret fond musical et une copieuse et goûteuse collation transforma vite nos guerriers en joyeux lurons. Mais aussi la fatigue eut raison des troupes qui rejoignirent leurs quartiers, bien au chaud, pour y récupérer une bonne forme pour les opérations du lendemain. Dans la cour, ne restèrent dans l’obscurité que nos véhicules qui se détachèrent en ombres tranquilles sur les murs environnants d’un Saint Edouard que l’on imaginerait étonné de cette atmosphère de jadis. Seule une petite équipe volontaire d’Indiens restera jusqu’après minuit pour recevoir les dernières troupes.
Comme par miracle, le lendemain samedi et avant 8 heures, tout le monde était présent au petit-déjeuner. Personne ne manquait à l’appel. Normal : le café frais, le chocolat chaud et le buffet bien achalandé en séduit plus d’un. Le rassemblement se fit alors naturellement et dans la cour se fut la symphonie des démarrages de moteurs ; les uns entraînant les autres. Dans une joyeuse cohue la colonne s’aligna finalement derrière le Dodge WC52 piloté par Guillaume transportant une belle section en ordre de combat. La colonne d’une quarantaine d’engins dont un superbe et impressionnant half-track M3, serpenta le long des routes étroites de la vallée de l’Amblève sous escorte bienveillante et singulière du Cushman-pilot Willem Braam accroché tant à son guidon qu’à un monstrueux cigare. Des villages et des bourgs aux noms historiquement évocateurs furent traversés : La Gleize, Trois-Ponts, Stavelot …. et la montée, par des chemins pittoresques, vers le maintenant devenu célèbre hameau de Baugnez perché sur les hauteurs de Malmédy. C’était le point de destination de cette matinée et peu après 11 heures le service MP fit ranger les véhicules sur le parking du nouveau musée de Baugnez que la plupart d’entre nous n’avaient encore jamais visité. Philippe (le président) et Guy invitèrent les équipages à rendre un hommage au mémorial situé à quelques pas de là, et élevé en mémoire du massacre des américains le 17 décembre 1944. Un bref exposé replaça tout le monde dans le contexte des événements à l’issue de quoi la cérémonie du dépôt de la gerbe de l’Indian Head eut lieu en compagnie de l’échevine déléguée par la ville de Malmédy. Un moment de recueillement se lit alors sur les regards devenus graves et qui se portèrent sur les plaques des noms des 84 américains du 285th AA Obs. Bat. recensés avoir été abattus par les troupes du Kampfgruppe commandé par l’Obersturmbannführer Joachim Peiper. Un autre moment solennel lorsque l’impeccable et efficace escouade MP (française) salua aux ordres de leur officier. Un moment de silence dédié à la mémoire des disparus. Le temps de quelques soupirs émus puis un ordre « main fixe » qui clôtura le salut. Les troupes se rendirent au restaurant du musée pour y occuper toutes les places sans gêner toutefois quelques touristes interrogatifs. Les assiettes capitulèrent sous les assauts gourmands. Puis ce fut la visite de la collection remarquable et privée du musée Baugnez 44. L’évocation de la montée du nazisme, la guerre et plus principalement les évènements de la bataille des Ardennes et ceux de la région. Le tout fut mis en scène avec brio. Dioramas, scènes dynamiques et l’aide du guide électronique. Tous les ingrédients pourtremper le visiteur dans les couloirs du temps. Un film d’archives de l’époque accentua davantage encore la communion avec l’Histoire d’il y a 67 ans !
Le départ s’annonça avec les appels des MP’s. La colonne se reforma pour emprunter l’itinéraire historique des avant-gardes du Kampfgruppe Peiper progressant en direction de la Meuse lointaine. Même si nous roulions cette fois sur des routes modernisées, bien balisées et signalées, personne ne put s’empêcher de se replonger dans l’histoire des événements. C’est en empruntant cet itinéraire que l’on se rend à peine compte de l’épopée gigantesque vécue par les belligérants. D’autres bourgs et villages, certains martyrs, furent traversés comme Ligneuville, Lodomez …Finalement les hauteurs de Stavelot sont atteintes. Une brève halte de regroupement à l’endroit même où à l’aube du 18 décembre 1944 les troupes de Peiper se remirent en marche pour assaillir Stavelot. La route du vieux château est restée quasi identique, les maisons à peine rénovées et puis c’est la rencontre avec un half-track White M3 figé au pied de la côte et qui semblait encore garder l’accès du pont en pierres enjambant la rivière Amblève. Un souvenir devenu inoffensif de la bataille, installé par la ville, pour rappeler les événements tragiques qui coûtèrent 164 civils tués. Nous contournons Stavelot en bon ordre en offrant aux curieux l’image de nos troupes pacifiques. Trois-Ponts fut atteint en ligne droite puis à la limite nord de la ville la colonne bifurqua vers l’Est en direction de Stoumont, à l’instar des troupes allemandes déviées face à la trop forte résistance américaine des troupes de la 82 AB. Notre colonne, arrivée à La Gleize, se déploya et occupa littéralement le minuscule village où, flanqué à côté du célèbre musée Ardennes 44, la masse du tigre royal de 69 tonnes (N° 213) semble encore épier les lieux. Nous sommes accueillis par Mr Gérard Grégoire : historien et conservateur/fondateur du musée et qui nous invite dans l’église pour une conférence sur les événements de la bataille de La Gleize dont il fut le témoin rescapé. Beaucoup d’émotion se dégagea de son récit et Mr Grégoire m’avoua avoir ressenti un « frisson » mélancolique à la vue de tous ses véhicules américains, dont les remarquables M3 et scout-car M3A1, chevauchés par des équipages réalistes avec armes (factices) et bagages … même après si longtemps. Mr Grégoire nous donna rendez-vous pour le lendemain.
De retour au bivouac, Saint Edouard résonna à nouveau du bruit de nos machines et c’est dans une joyeuse pagaille que les pilotes conquirent leur place de parking.
Nos indiennes étaient à pied d’œuvre ainsi que les bar-men(women) qui se mirent à l’ouvrage face aux assauts des assoiffés. La plupart allèrent se changer pour la soirée et pour se rendre au restaurant où leur fut servi un copieux et ravigotant dîner français et souper belge. J’en ai même vu qui entraient en rang et en chantant … et tout le monde reprit en chœur.
Le 1er Echevin de Stoumont : Mr Paolo Tatullo en compagnie de Mr Roger Schyns gérant du S.I., tous deux nous firent l’honneur de leur présence à la soirée pour y remettre, à chaque président ou président f.f. de club la médaille commémorative de ce week-end avec l’Indian Head qui offrit à son tour un certificat personnalisé attestant de la participation de chacun à cette nouvelle et première « campagne » de l’année 2011. Une ovation aussi pour célébrer le retour de mission militaire en Afghanistan de notre membre Michel Van den Rul après une absence de 4 mois. Bienvenue au Pays Michel ! Puis le relâchement convivial avec une belle soirée dansante animée judicieusement par la chanteuse jockey Sonia qui réussit à faire danser quasi tout le monde… jusque bien tard.
Le petit-déjeuner du dimanche vit s’attarder un peu plus ceux pour qui la nuit fut un peu courte. Mais le café-croissants et l’opulent buffet en étonna plus d’un parmi nos amis gaulois habitués plutôt au bol de café avec baguette …
Déjà les premiers signes de l’épilogue se marquèrent. Une petite colonne se rendit tout de même à La Gleize, en milieu de matinée, pour y visiter le musée mais après avoir assisté préalablement à la messe dominicale dédiée aux combattants de l’époque et ceci à l’occasion de notre organisation.
Le repas de midi rassembla pour la dernière fois nos GI’s. Un à un, par petits groupes, comme ils étaient venus, ils s’en retournèrent « at home » Tous sont venus saluer les têtes d’indien et nous garantir de leur amitié. Ils nous remercièrent chaleureusement pour avoir organisé, comme il faut (et comme toujours) cette belle « Operation Ivanhoe » devenue traditionnelle chaque début d’année. « Farewell » et … à se revoir tous très bientôt !
Saint Edouard semblait un peu triste avec sa cour devenue vide et avec seulement quelques derniers mouvements et bruits de rangement puis, lorsque la dernière jeep quitta les lieux, « il » retomba dans son aspect figé et vénérable.
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Merci à toutes les copines et copains de l’Indian qui ont contribué, par leur aide, à la réussite de cette belle opération de notre « second to none » de l’hiver 2011.
Merci aux représentants de la Commune de Stoumont MM Tatullo et Schyns.
Merci surtout aux participants pour avoir partagé, avec nous, cette belle passion.